Sur les réseaux sociaux, les théâtres ne se contentent pas d’occuper un nouveau canal : iels entrent dans un univers où les règles du jeu ne sont plus les leurs. Dans un feed régi par l’économie de l’attention, ce n’est plus la légitimité culturelle qui hiérarchise les contenus, mais leur capacité à retenir un regard plus de trois secondes. Cette bascule est fondamentale puisqu’elle déplace le pouvoir des institutions culturelles vers un système algorithmique qui se moque éperdument de la distinction entre culture et divertissement.
Beaucoup d’institutions comprennent désormais que leur communication traditionnelle ne suffit plus. Le discours institutionnel, même modernisé, reste perçu comme vertical et distant, exactement ce que l’algorithme sanctionne. D’où l’émergence d’une externalisation de la médiation culturelle qui aurait semblé impensable il y a dix ans pour la confier à des créateur·ices de contenus qui maîtrisent parfaitement les codes des plateformes.
Ce que les influenceur·euses apportent n’est pas seulement une touche jeune ou dynamique. Iels incarnent surtout une nouvelle forme de légitimité fondée sur la relation de confiance. Là où un théâtre parle “au public”, un·e influenceur·euse parlera “à sa communauté”. On assiste donc à un affaiblissement du pouvoir des institutions culturelles comme seules détentrices de la prescription artistique.
Laetitia, @3615Recos, incarne cette nouvelle figure de l’influence dans le spectacle vivant. Son pseudo renvoie au Minitel, soit le téléphone qui relie, qui connecte. Diplômée en médiation culturelle, Laetitia convertit son capital culturel en capital d’audience via ses followers, puis en capital économique en signant des contrats avec des institutions culturelles. Son travail consiste notamment à rendre visibles les spectacles joués en banlieue : « une exposition ne viendra pas en banlieue alors que le spectacle, oui ! ». Elle s’attache également à montrer la diversité du spectacle vivant : cirque, cabaret, danse…
Dans un milieu qui aime se penser “au-dessus” de l’argent, la question de la monétisation reste sensible. Pourtant, pour Laetitia, « être monétisée, ce n’est pas être vendue » : c’est reconnaître que la médiation culturelle est un travail, et que les femmes, souvent plus précaires dans ce secteur, ont tout intérêt à se valoriser. Elle rappelle ne pas tout aimer même en partenariat.
Les influenceur·euses rendent indéniablement la culture plus accessible en poussant vers les salles des personnes qui n’y seraient jamais allées seules. À côté des structures institutionnelles, iels prennent le pouvoir de dire ce qui mérite d’être vu.
