Le spectacle vivant occupe une place essentielle dans la vie culturelle française. Théâtre, danse, musique ou cirque : derrière chaque représentation, il y a le travail de milliers d’artistes, de technicien·nes et d’équipes de production.
La majorité de ces professionnel·les relèvent du régime de l’intermittence. En 2023, environ 312 000 personnes en bénéficiaient, dont 60 % d’artistes et 40 % de technicien·nes. Ce chiffre est en hausse par rapport à l’année précédente, ce qui reflète la vitalité du secteur. Pourtant, derrière cette dynamique, la réalité du métier reste marquée par une forte précarité.
Pour bénéficier du régime de l’intermittence, les intermittent·es doivent justifier de 507 heures de travail sur une période de 12 mois, soit environ 43 cachets. Ce seuil ouvre droit à une indemnisation chômage spécifique, pensée pour compenser l’irrégularité des contrats. Mais dans un secteur fait d’alternances entre périodes d’activité intense et périodes creuses, atteindre ce seuil peut relever du véritable parcours du combattant. Nombre d’intermittent·es vivent ainsi dans l’incertitude d’une saison à l’autre, sans savoir s’ils·elles pourront maintenir leurs droits.
Depuis 1969, une règle protectrice existe pourtant : toute personne qui monte sur scène est présumée salariée, même pour une seule représentation. Cette présomption de salariat, inscrite dans le Code du travail, vise à protéger les artistes contre le travail dissimulé et à garantir une couverture sociale.
En théorie, les conventions collectives du secteur (comme l’IDCC 3090 ou la CCNEAC) encadrent aussi des aspects essentiels : durée du travail, congés, périodes d’essai, sécurité. Mais dans la pratique, ces protections restent fragiles et ne sont pas toujours appliquées, faute de contrôle suffisant ou par manque de moyens.
Des organismes comme ARTCENA rappellent régulièrement que la santé et la sécurité doivent faire partie intégrante du métier : suivi médical, prévention des blessures, conditions d’hébergement ou de transport lors des tournées. Des points essentiels néanmoins pas toujours respectés.
Après les projecteurs, la vie des intermittent·es est souvent rythmée par des conditions de travail difficiles : horaires tardifs et décalés, répétitions parfois non rémunérées. Les déplacements sont fréquents, fatigants et souvent mal indemnisés. Les risques physiques et psychologiques sont bien réels : fatigue chronique, stress, blessures, anxiété.
Une étude menée en Nouvelle-Aquitaine a mis en lumière un phénomène préoccupant : ces contraintes entraînent un fort risque d’épuisement professionnel, souvent aggravé par l’isolement et l’incertitude permanente. Beaucoup témoignent d’une difficulté à se projeter, à organiser leur vie personnelle ou familiale.
Les inégalités territoriales accentuent encore cette fragilité. Près de 40 % des intermittent·es vivent en Île-de-France, où se concentrent les grandes institutions et la majorité des productions. Dans d’autres régions, les opportunités sont beaucoup plus rares, obligeant les artistes et technicien·nes à multiplier les déplacements, avec les coûts et la fatigue que cela implique.
Poser la question des conditions de travail des intermittent·es, c’est interroger le modèle culturel français lui-même. Voulons-nous seulement préserver un patrimoine, ou permettre réellement à celleux qui le font vivre d’exercer leur métier dans la dignité ?
En théorie, les artistes et technicien·nes bénéficient de protections solides. En pratique, ces droits se révèlent souvent fragiles et difficiles à faire respecter. L’intermittence reste un statut indispensable pour soutenir la création, mais il mérite d’être renforcé afin que celles et ceux qui en dépendent puissent non seulement créer, mais aussi vivre dignement de leur art.