La 36e cérémonie des Molières s’est déroulée aux Folies Bergère dans le faste, la liesse et les réjouissances. Pourtant, quelque chose grince dans cette cérémonie bien huilée : l’entre-soi, les huées après le discours du président des Molières Jean-Marc Dumontet, les pics à l’encontre de Rachida Dati, les caméras braquées sur les mauvaises personnes au moment des nominations… À l’heure du mouvement « Debout pour la culture ! » impulsé par les coupes budgétaires drastiques dans le secteur théâtral, en mal de financement, le luxe de cette cérémonie peut devenir gênant — un vernis qui ne parvient pas à masquer que le milieu du théâtre est en pleine ébullition.
Cette année, le thème de la soirée était « Résistance », et certain·es s’en sont donné·es à cœur joie. Dès le discours d’ouverture, la maîtresse de cérémonie Caroline Vigneaux donne le ton. Arborant le bonnet phrygien, clin d’œil au tableau La Liberté guidant le peuple d’Eugène Delacroix, elle n’a pas hésité à s’adresser directement à la ministre de la Culture, Rachida Dati, assise tranquillement dans son fauteuil, pour lui rappeler la fonte des ressources du théâtre comme neige au soleil… Ministre qui avait d’ailleurs déjà essuyé un accueil virulent de la part de la CGT Spectacle à son arrivée aux Folies Bergère, sous les cris de « Dati démission ! ».
Le seul qui ait encore osé la défendre a été le président de la cérémonie, Jean-Marc Dumontet, producteur de spectacles et directeur des théâtres Antoine, Bobino et du Point-Virgule. Son discours obséquieux adressé à la ministre de la Culture lui a valu une huée générale. Bien évidemment, cette séquence a été coupée et non retransmise en direct sur France 2, France Télévisions profitant de la marge de manœuvre offerte par le léger différé.
Autre raté des caméras : au moment de l’annonce du lauréat de la catégorie du Spectacle musical, la focal se porte sur le directeur de la Scala, Frédéric Biessy, au lieu de filmer la metteuse en scène du spectacle Punk.e.s, Justine Heynemann. Une erreur qui laisse entrevoir un amateurisme, délicat dans le cadre d’une soirée qui se prétend être l’équivalent des Césars pour le théâtre.
La cérémonie a été ponctuée d’interstices chantées, dansées, de discours et d’humour. En particulier, un moment très fort : l’hommage magnifique au peuple ukrainien, dans une danse circassienne suave et très touchante — mais qui a rendu d’autant plus gênante l’absence d’hommage au peuple palestinien.
D’ailleurs : chant, cirque, danse… Autant de disciplines « annexes », dont il n’est pratiquement jamais question dans les nominations. Pourtant, les publics semblent de plus en plus conquis par les spectacles pluridisciplinaires. Et Juliette Béhar, Molière de la Révélation féminine, de rappeler dans son discours la difficulté des comédien·nnes issu·es de formations en comédies musicales, d’obtenir des rôles au théâtre.
Et que dire de l’absence de la province ? Les Molières semblent désormais assumer de ne donner à voir qu’un faible échantillon de ce qui se produit sur les plateaux de tous les théâtres français : pas un seul Centre Dramatique National représenté. Seul le Théâtre National de Strasbourg figurait parmi les nominés dans la catégorie du spectacle public.
Les bulletins de vote sont attribués aux membres de l’Académie des Molières, qui regroupe des professionnel·les actif·ves du théâtre : directeur·rices de structures, producteur·rices, comédien·nes, metteur·ses en scène, auteur·rices… Tout l’enjeu est que le théâtre reste un petit milieu, où tout le monde se connaît — ce qui peut biaiser les votes en faveur de réseaux ou d’affinités personnelles. On remarque d’ailleurs que certains spectacles raflent tout, laissant les autres sur la touche. On pense notamment à Du charbon dans les veines, qui repart avec cinq nominations. Les dés sont pipés ?
Chaque année, les professionnel·les demandent à modifier la date de la cérémonie, car la plupart des spectacles ont cessé de tourner au moment des nominations. Pour que la récompense ait un impact réel sur les ventes et permette de booster les représentations, il faudrait que la cérémonie ait lieu en janvier. Car il est indéniable que le Molière fait office de label pour une pièce — un tampon prometteur qui permet d’attirer du public, et donc… de remplir les caisses.